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Le 12 février 1958 parait LA QUESTION
CELUI QUI VOULAIT SAVOIR POUVAIT SAVOIR (i)
vendredi 10 février 2023, par
L’arrestation
Le 12 juin 1957, il a rendez-vous avec un camarade, sonne à sa porte, des paras lui ouvrent. Dès lors, il est seul, sans possibilités de communiquer, sans que sa femme, ses enfants, sans que personne ne sache où il est et ce qu’il advient de lui. À la merci des paras de Bigeard, ils l’emmènent à El Biar, au 94, avenue Georges Clemenceau, un des centres de torture, il est l’objet des pires sévices. Il sait qu’il peut parler après 24 ou 36 heures, le temps à ses camarades d’être informé de son arrestation et de prendre des dispositions. Il subit la torture jusqu’au 18 ou au 21 juin, il n’a pas parlé.
Le 12 juillet, transféré au camp de Lodi, c’est la possibilité de prendre contact avec l’extérieur, de faire savoir : je suis vivant, de rédiger une plainte, adressée au Procureur général d’Alger Reliquet pour « torture, séquestration et menaces de mort. » Plainte qui, par l’aide de codétenus, sort clandestinement du camp, postée à des adresses en France pour alerter l’opinion. Sur les sept copies envoyées, deux seulement parviendront à leurs destinataires. Le 29 juillet, Jean Dorval communique la plainte à douze quotidiens nationaux, à six hebdomadaires et aux syndicats nationaux de la presse. Le 30 juillet, L’Humanité, publie la plainte, l’enfermement, le silence de la prison et du camp est brisé, Son nom, Henri Alleg, entre dans l’Histoire.
« L’affaire Alleg »
L’Humanité est saisie, les correspondants du Figaro et de France-Soir interrogent le procureur Reliquet qui répond « il n’y a pas d’affaire Alleg, puisque le Procureur général d’Alger n’a reçu aucune plainte. » La plainte a effectivement été bloquée par les autorités militaires et le procureur Reliquet adresse une lettre à son ministre de tutelle, François Mitterand dans laquelle il fait le constat « à regret », que la presse est : « la principale, si ce n’est l’unique source d’information de mon substitut général et de mon parquet d’Alger. » L’armée, la justice, l’État s’enferment dans le déni, mais il y a une « affaire Alleg. »
Gilberte Alleg, expulsée d’Algérie par l’administration coloniale, en raison de son activité visant à dénoncer la disparition de Maurice Audin et celle de son époux, interpelle toutes les rédactions parisiennes en présentant l’original de la plainte et en déposant une lettre dans laquelle Henri Alleg relate les faits survenus depuis son arrestation. La lettre est publiée par Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, le 31 juillet, France-Soir de Pierre Lazareff, le 2 août, Le Monde d’Hubert Beuve-Méry, le 3, mais dès le 1er août, « l’affaire Alleg » était internationalisée par un article du New-York Herald Tribune. Le 7 août, France-Soir, le plus important quotidien national publie six articles sur « l’affaire Alleg » et Le Monde une déclaration de ses avocats. Avant d’être une « affaire judiciaire », « l’Affaire Alleg » fut donc une « affaire de presse. »
L’Humanité et Libération informent et alertent sur le recours à la torture lors de la « bataille d’Alger » ou de « l’opération Pilote » dans la région d’Orléansville, il ne s’agit pas de bavures, mais d’un système pour terroriser et briser la résistance du peuple au colonialisme. La campagne reçoit l’appui du Monde, de L’Express et de France Observateur, les autres organes de presse se limitent à publier, avec des réserves, les dépêches de l’A.F.P. Malgré les dénégations de l’État et de l’armée, celui qui voulait savoir pouvait savoir.
La justice entravée
Le 10 août, Le Monde informe qu’une enquête est diligentée, le 7 août Henri Alleg a été présenté devant un juge d’instruction et une information a été ouverte par le général Allard pour « coups et blessures » (!?) La justice militaire, le capitaine Missoffe, est chargé de l’instruction. Le 16 août, il est transféré à la prison de Barberousse et le 22 le capitaine Missoffe l’inculpe pour « atteinte à la sécurité de l’État et reconstitution de ligue dissoute. » Cette inculpation change son statut judiciaire et lui permet de constituer Me Léon Matarasso comme avocat. L’affaire Henri Alleg est alors jointe à l’affaire Maurice Audin, arrêté un jour avant et « disparu » dans les couloirs d’El Biar. À la suite de la plainte de Josette Audin pour homicide volontaire le 2 juillet, un dossier est ouvert le 29 juillet, Maurice Audin est alors lui aussi inculpé pour « atteinte à la sécurité extérieure de l’État » et le 9 août de « reconstitution de ligue dissoute. » Leurs dossiers sont confondus par la justice militaire et avec ceux d’autres membre du PCA. Pour la hiérarchie militaire la guerre d’Algérie est une guerre pour défendre l’empire colonial et combattre le communisme international.
Dans sa plainte, Alleg désigne nommément ses tortionnaires, il est confronté avec eux, mais la justice militaire couvre la torture, la procédure judiciaire s’enlise. À la fin du mois d’octobre, Léo Matarasso propose à Alleg d’écrire un témoignage destiné à être publié sur les tortures qu’il a subies par les paras de la 10e DP. Henri Alleg lui fait part de plusieurs objections, les conditions pour écrire ne sont pas réunies à Barberousse, l’essentiel des accusations figurent dans sa plainte et surtout : « Pourquoi moi, nous sommes des milliers à avoir été torturés et à pouvoir témoigner ? » Léon Matarasso répond : « Oui, mais tous n’ont pas la possibilité d’écrire et de relater les faits dans leur flagrance », il ne s’agit pas d’une pièce judiciaire, mais de s’adresser à l’opinion publique, d’un acte militant.
Le texte fut rédigé d’une petite écriture sur des feuilles de cahier d’école et du papier hygiénique, ses deux codétenus informés, assurent la surveillance et le secret sur « l’opération. » Sous le couvert « d’éléments pour éclairer ma plainte », le manuscrit sort de prison.
Le manuscrit
À Paris, Gilberte Alleg réceptionne les feuillets, les déchiffre et tape le manuscrit, l’idée est d’en faire une brochure du Secours populaire, c’est pour Léo Matarasso réduire le témoignage à une diffusion limitée et s’adresser à des lecteurs souvent déjà informés, la lutte contre la torture, la force du texte, touchent un champ plus large. Ayant convaincu la direction du PCF, Léo Matarasso et Gilberte Alleg contactent des éditeurs. Commence le temps long des démarches infructueuses. Les éditions Fasquelle refusent, les éditions du Seuil, l’éditeur de Francis Jeanson et du Contre la torture de Pierre Henri Simon également, de même les éditions Juillard, qui a édité Lieutenant en Algérie de Servan-Schreiber et édite la revue de Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes. Il y a à ces refus des raisons idéologiques, il s’agit d’un témoignage écrit par un communiste et il défend la cause algérienne ; il y a aussi des raisons politiques et judiciaires, malgré l’implacabilité du texte, la menace de saisie, de poursuites et de procès.
Au début du mois de décembre, sur le conseil de René Juillard, sachant que les Éditions de Minuit ont publié Pour Djamila Bouhired, militante du FLN arrêtée, torturée et condamnée à mort, publication qui a suscité une intense campagne de protestations qui permettra que la peine de DJamila Bouhired soit commuée, le manuscrit est envoyé à Jérôme Lindon, au 7, Rue Bernard Palissy. Il répond oui « avec empressement » et déclarera plus tard : « c’est une écriture qui ne ment pas. » Gilberte Alleg et Leo Matarasso se rendent alors aux éditions pour montrer les feuillets originaux du « manuscrit » et en démontrer l’authenticité. La conviction sur la vérité des faits de Jérôme Lindon est d’autant plus certaine qu’il travaille avec Pierre Vidal-Naquet sur la disparition de Maurice Audin. Donnant raison à l’obstination de Gilberte et de Léo Matarasso, le livre va paraître. Gilberte Alleg propose comme titre Interrogatoire sous la torture, Jérôme Lindon est tenant de titres courts, ce sera La Question.
Le livre
L’ouvrage imprimé dans le plus grand secret sort de l’imprimerie le 12 février 1958. Sans la décision de Jérôme Lindon, mettant en péril ses éditions, on peut affirmer que La Question n’aurait pas trouvé d’éditeur. Le 18 février, le comité Audin organise une conférence de presse lors de laquelle Jérôme Lindon informe les journalistes de la parution de La Question. Les noms des tortionnaires, le capitaine Devis, le capitaine Faulques, le lieutenant Charbonnier et le lieutenant Erulin, (orthographié par erreur Irulin), y sont mentionnés par des initiales et des points correspondant au nombre de lettres du nom. Mais, lors de la Conférence de presse, il est diffusé une brochure du Comité Audin, jointe au service de presse, dans laquelle les noms figurent en toutes lettres avec une injonction de Pierre Vidal-Naquet, : « Si les officiers formellement accusés d’être des tortionnaires… peuvent se disculper qu’il le fassent tout de suite, pour l’honneur de l’armée et du pays tout entier. »
Dès le 20 février, la presse réagit. Alain Jacob dans Le Monde écrit : « Henri Alleg raconte ce qu’ont été les premières semaines de sa détention. Il le fait avec une précision et une abondance de détail qui emporteront bien des convictions. » Pour L’Express : « Il faut lire ce livre si mince et si lourd. Ce qu’il raconte, nous en acceptons la responsabilité si nous acceptons, en silence, que l’on torture au nom de la France. » Edgar Morin relève dans France Observateur : « Il est unique de trouver un homme qui ait eu à la fois l’expérience du supplicié, la lucidité du témoin, la volonté de l’acteur et ‘l’absence de style’ de l’écrivain dans la tragédie de la torture moderne. » Le 21 février dans L’Humanité, André Wurmser titre : « Un livre paraît : Henri Alleg accuse » et Marcel Fourrier écrit dans Libération : « Les bourreaux sont-ils au-dessus des lois ? Non, alors il faut que justice se fasse ! »
Rompre le silence
Le 24 février 1958, le Centre d’information et de coordination, pour la défense des libertés [1], qui édite la publication semi-clandestine Témoignages et Documents, organise une conférence publique sur invitation, pour éviter toute provocation. La réunion est présidée par Louis Martin Chauffier, y interviennent Jacques Madaule, Simone de Beauvoir (engagée dans la défense de Jacqueline et Abdelkader Guerroudj), Jean-Paul Sartre, René de Possel, Laurent Schwartz, Albert Chatelet, Jules Borker, Michel Bruguier, Henri Douzon et deux militantes chrétiennes torturées, Denise Walbert et Jeanine Belkodja. Lors de la conférence sont présentés Des rappelés témoignent, Témoignages et Documents. Pour Djamila Bouhired et La Question. Il ne s’agit pas de bavures, mais d’un système. L’impossible silence est brisé.
Le 27 février, Libération, avec une photo d’Henri Alleg, et France Observateur publient des extraits de La Question. On lit dans France Observateur : « Ce qui fait son extrême valeur ce n’est pas seulement la description minutieuse des tortures qu’Alleg a subies, c’est la révélation de certaines responsabilités. » La saisie de France Observateur « pour participation à une entreprise de démoralisation de l’armée » et les larges extraits publiés par Libération, dont le passage ou Henri Alleg croise Maurice Audin dans les couloirs d’El Biar suscitent dans les jours qui suivent des articles sur La Question dans Combat, Le Monde, Le Canard Enchaîné, mais aussi La Croix, Paris Presse et Le Figaro en font mention. François Mauriac fait le constat dans L’Express : « Il n’y a plus rien à dire, tout ce qui a été dénoncé reçoit ici, d’une des victimes, un témoignage sobre qui a le ton neutre de l’Histoire. »
Ce qui se commet au nom de la France
Le 28 février, la dénonciation de l’abomination s’internationalise, le Manchester Guardian écrit : « Les tortures constituent une cause d’infection dans l’organisme politique de la France. » Le journal est saisi … en France, comme, le ciseau de Madame Anastasie - par qui André Gill a symbolisé sous le Second Empire la censure -, coupe et tranche. Ainsi, le 6 mars, L’Express qui publie l’article de Jean-Paul Sartre : Une Victoire, celle d’Henri Alleg sur ses tortionnaires est saisi comme France Observateur pour l’article d’André Philip : « Le suicide de la France » et France Nouvelle pour un article de Bachir Hadj Ali. René Juillard, édite sous forme de brochure le Une Victoire de Sartre, les exemplaires sont saisis à l’imprimerie le 8 mars, ce qui amène le 11 mars le Conseil National des Écrivains (CNE), né de la Résistance, à publier un communiqué dénonçant « la répression de la pensée. »
La multiplication des saisies de quotidiens, hebdomadaires et revues, suscite des réactions dans la presse internationale. Entre le 6 et le 13 mars : le News Chronicle, The Observer, Il Giorno, Il Corrierre de la Serra, La Stampa, La Gazette de Lausanne, la Stuttgarter Zeitung, le New-York Times, dénoncent la torture pratiquée par l’armée française, plusieurs d’entre eux publient Une Victoire. Les éditions Calder à Londres et Einaudi en Italie signent des contrats d’édition de La Question en anglais et en italien avec comme préface ou postface le texte de Sartre.
Dans Le Figaro du 12 mars, le témoignage d’Henri Alleg est considéré comme « une exploitation de la pitié. » André Wurmser dans L’Humanité, Jean Carta, dans Témoignages Chrétiens et Claude Roy, dans Libération répliquent à l’odieux et le 20 mars, Gabriel Marcel adresse une Lettre à François Mauriac publiée dans L’Express : « J’estime qu’on se déshonore en gardant le silence en présence de ces horreurs. Les différences d’opinions politiques s’abolissent… Il y a plus que ceux qui approuvent ou admettent et ceux qui réprouvent, qui vomissent de dégoût. » À la solidarité internationaliste avec le peuple algérien pour se se libérer du colonialisme, s’ajoute pour les forces progressistes en France, comme conséquence de l’engrenage répressif engendré par la guerre d’Algérie, la nécessité de s’organiser contre la menace fasciste que représente l’armée coloniale et les tenants de l’Algérie française.
La diffusion militante
Le réseau de librairie étant le reflet de l’opinion publique, hors les librairies engagées et militantes dont celles appartenant au réseau du PCF, la librairie Denoël et ce qui deviendra une référence dans le monde de la librairie politique, La joie de Lire de François Maspero, c’est la loi du déni de la guerre et de la torture. Mais, dès sa sortie La Question bénéficie d’une exceptionnelle diffusion militante, dix jours après sa parution, fin février, le premier tirage de 5 000 exemplaires est épuisé, articles de presse et saisies font qu’au début mars, 25 000 exemplaires sont vendus en six jours ! Et le 15 mars, la diffusion atteint 66 000 exemplaires, des chiffres totalement inhabituels pour des livres politiques. Provocation délibérée, le 20 mars, jusqu’au 25 mars, Jérôme Lindon fait placarder sur les murs de Paris 150 affiches de 5m2 avec la photo d’Henri Alleg et la citation de Sartre « Henri Alleg a payé le prix le plus élevé pour avoir le droit de rester un homme. »
Le 27 mars, comme sous l’occupation nazie, ce qu’aucun gouvernement français n’avait fait depuis le XIXe siècle, un livre politique est saisi. Sur commission rogatoire du commandant Giraud, juge s’instruction au tribunal des forces armées, La Question est saisie pour « participation à une entreprise de démoralisation de l’armée, ayant pour objet de nuire à la défense nationale. » Aux éditions, chez l’imprimeur, dans les librairies 8 000 exemplaires de La Question sont saisis. Le 28 mars, L’Humanité cite François Mauriac : « Ce qui frappe le plus dans cette mesure, c’est son absurdité. » Et le 3 avril dans L’Express, Jean-Marie Domenach titre : « La seconde victoire », celle de l’impossible silence, il écrit : « Saisi et pilonné, le livre d’Alleg rentre dans son ordre, la clandestinité, dont il n’était sorti qu’à la faveur d’une inattention du pouvoir. » Témoignages et Documents publie un numéro avec le texte de La Question, donnant les noms des tortionnaires. Il est diffusé à 90 000 exemplaires, dans le Quartier Latin et devant la Sorbonne on vend le livre à la criée.
L’Appel au président de la République
Les protestations contre la saisie se multiplient. Jérôme Lindon prend l’initiative d’une Adresse personnelle au Président de la République René Coty qu’il propose de signer à François Mauriac, Roger Martin du Gard, Albert Camus, prix Nobel et à André Malraux et Jean-Paul Sartre dont on sait combien les engagements moraux et leur rapport à la politique diffèrent. L’Adresse porte trois exigences : Protester contre la saisie, demander que la lumière soit faite sur les faits rapportés par Henri Alleg, sommer les pouvoirs publics de condamner sans équivoque l’usage de la torture qui déshonore la cause qu’il prétend servir. André Malraux, Roger Martin du Gard, François Mauriac et Jean-Paul Sartre signent l’Appel, Albert Camus refuse dans une lettre à Jérôme Lindon : « J’ai décidé… après avoir reconnu ce qui me séparait de la gauche comme de la droite sur la question algérienne de ne plus m’associer à aucune campagne publique sur ce sujet… Même lorsque cet objectif est valable et c’est le cas, j’ai donc décidé de ne plus agir que personnellement. » L’exigence morale d’Albert Camus s’en trouve tristement entachée.
Reflet d’une opinion française, contre la guerre en Algérie, mais pour laquelle l’Algérie c’était la France, conséquence des divergences au sein de la gauche, jusque dans le courant favorable à une Algérie indépendante, l’appel demandant à tous les Français à signer l’Adresse solennelle, ne fut pas concrétisé. Les évènements s’accélèrent, sous les coups de boutoir des factieux, le 15 avril 1958, le gouvernement Félix Gaillard tombe, la Quatrième République est renversée à la suite d’un putsch, qui porte de Gaulle au pouvoir.
L’universalité de La Question
Le 11 avril 1958, quinze jours après la mesure de saisie, La Question est rééditée en Suisse à La Cité-Éditeur avec une double symbolique évoquée par Jérôme Lindon, premièrement celle des éditeurs publiant en Suisse dans le cours de la Seconde Guerre mondiale les textes interdits en France d’Alain Borne, Loys Masson, Pierre Seghers, Paul Éluard, Jules Supervielle, André Frénaud, Paul Emmanuel, Louis Aragon, Elsa triolet… Secondement, pour que le gouvernement comprenne qu’un quotidien, un hebdomadaire, une revue saisie sont des numéros morts, grevant leur économie mais, au-delà des pertes financières, la saisie ne peut empêcher que le livre soit réédité. Le 25 avril 1958, paraît l’édition anglaise puis, dans les mois qui suivent La Question est éditée en Italie, Suède, Pays-Bas, Japon, Danemark, Allemagne fédérale, Allemagne démocratique, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Norvège, Argentine, Pologne, Roumanie.
Le 9 juin 1958, on lit dans le New York Herald Tribune : « Parmi les problèmes auxquels le général de Gaulle aura à faire face, aucun ne relève d’un défi moral plus exigeant que celui que ce petit livre. » Il faudra encore plus de quatre ans pour que le peuple algérien soit indépendant, mais La Question est devenue en France et dans le monde, le livre témoin d’une défaite diplomatique, le discrédit international de la France l’isole et va obliger à des négociations avec le FLN ; le livre témoin d’une défaite politique, aucune répression ne permet de vaincre un peuple qui veut se libérer du colonialisme ; le livre témoin d’une défaite morale, la torture a gangréné la société française jusqu’à faire tomber la IVe République et à faire vaciller par deux fois la Ve République lors de la « semaine des barricades en 1960 et lors du putsch des généraux en 1961.
Henri Alleg symbolise ceux, qui dans le cours de ces longues huit années de guerre, en Algérie et en France, ne sont pas restés passifs et qui en s’engageant n’ont pas manqué à l’appel pour s’opposer au colonialisme et à l’abomination qu’il a engendré en théorisant, enseignant, ordonnant, pratiquant et banalisant la torture.
Nils Andersson, Président de l’ACCA
Le portrait d’Henri Alleg réalisé par Mustapha Boutadjine (http://artbribus.com/2015/12/30/henri-alleg/ ) a été reproduit pour l’ACCA en Digigraphie.
i Ce texte retraçant l’Histoire de La Question, s’appuie sur les recherches d’Alexis Berchadsky, La Question d’Henri Alleg, un livre évènement dans la France de la guerre d’Algérie, Éditions Larousse, 1994. En reconnaissance à ses travaux.
ii Dénommé aussi Centre du Landy.
[1] ii