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Sur la contradiction qui surdétermine la guerre en Ukraine

Forum International de la Paix

lundi 21 novembre 2022, par Nils Andersson

Intervention de Nils Andersson en ouverture du FORUM INTERNATIONAL DE LA PAIX
"Qui veut la Paix, prépare la Paix"
Congrès National du Mouvement de la Paix à Tours 18-19-20 novembre 2022.

« Oui, l’agression de l’Ukraine par la Russie est à condamner comme une guerre impérialiste, oui, les peuples sont les premières victimes des horreurs de la guerre, oui il n’y a pas de guerre sans abominations et crimes de guerre, oui il est légitime de résister à un agresseur, oui… Cela affirmé et réaffirmé, sachant que l’ignominie de la guerre est pire que ce que l’on conçoit, au-delà du flot médiatique, tout reste à connaître de sa réalité, là où elle se déroule, tout reste à analyser qu’il s’agisse de ses enjeux globaux, des intérêts géopolitiques qui interfèrent, tout reste à comprendre des raisons et justifications de l’intervention ou de l’inconsidéré qui décide de la guerre. » [1]

Un préalable paraît indispensable à la compréhension de la guerre en Ukraine, quelles sont aujourd’hui les contradictions principales ? Quelle est la géopolitique du monde ? J’aborderai plus précisément un effet collatéral de la guerre en Ukraine. Dans le cours du XXe siècle, conséquence des contradictions inter-impérialistes, la carte du monde fut bouleversée à plusieurs reprises, elle le fut lors des deux guerres mondiales et après la dissolution de l’URSS en 1990. Elle l’est à nouveau, le monde post-guerre froide n’est plus et celui actuel est traversé par deux contradictions principales porteuses de guerres ; celle de l’OTAN aux frontières de la Russie et celle de l’hégémonie des États-Unis contestée par la Chine, contradiction majeure, qui a déplacé l’épicentre des contradictions inter-impérialistes de la zone euro-atlantique à celle indopacifique,

La contradiction aux frontières de la Russie est devenue un conflit ouvert. Une impossible victoire militaire au vu des forces et moyens en présence, impose la voie de la négociation et du compromis pour éviter le risque que la guerre en Ukraine, surdéterminée par la contradiction entre les États-Unis et la Chine, soit le Sarajevo ou le Danzig d’une troisième guerre mondiale. C’est là une menace réelle si l’on entend le discours de l’amiral Charles Richard, qui dirige le Commandement stratégique du Pentagone (Stratcom) : « La crise ukrainienne dans laquelle nous nous trouvons actuellement n’est qu’un échauffement… le grand conflit arrive. »

Il importe de comprendre ce que signifierait une guerre pour la suprématie mondiale entre les États-Unis est la Chine. Aux contradictions politiques, économiques, technologiques, scientifiques, militaires et idéologiques, qui opposèrent les puissances européennes ou le bloc occidental à celui soviétique, s’ajoutent, pour la première fois dans l’Histoire, des contradictions entre des modes de penser, des systèmes de valeurs, des cultures et des civilisations. Contradiction aux conséquences multiples, l’une étant de libérer un discours gangrénant nos sociétés, défendant un statut de domination et de supériorité menacées, à l’exemple de l’intervention de Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité quand il déclare : « Oui, l’Europe est un jardin. Nous avons construit un jardin. Tout fonctionne. C’est la meilleure combinaison de liberté politique, de prospérité économique et de cohésion sociale que l’humanité ait pu construire… Le reste du monde, n’est pas exactement un jardin. La plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin. » [2] Propos choquants, mais plus encore irresponsables au vu d’un effet collatéral de la guerre en Ukraine, un grain de sable qui interroge ceux qui nous dirigent et qui doit nous interroger.

Si en Europe s’exprime un unanimisme, une union sacrée jusqu’à devenir des faucons va-t’en guerre concernant la guerre en Ukraine, un profond clivage apparaît entre le monde occidental et les autres continents. En témoigne le nombre de pays, dont certains très liés aux États-Unis, qui se sont abstenus de condamner la Russie sur la question de l’Ukraine lors des votes à l’Assemblée générale de l’ONU [3]. La résolution n’a pu être adoptée que parce ce qu’elle ne « condamnait » pas, mais « déplorait » l’intervention de la Russie et se limitait à demander le retrait des troupes russes. L’étonnement est devenu questionnement dans les chancelleries face aux réserves, voir au refus des pays africains, de ceux d’Amérique latine à l’exception de la Colombie, du Paraguay et de l’Équateur, des pays asiatiques, hors le Japon, d’Israël, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis dans le Moyen-Orient, de participer aux sanctions contre la Russie. Le questionnement s’est mué en préoccupation quand l’Argentine, l’Algérie, l’Iran demandent d’adhérer aux BRICS et que d’autres États, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la Turquie, le Mexique, le Venezuela, la Nigéria, envisagent de rejoindre une organisation qui conteste la domination économique de l’Occident et du dollar.

La guerre en Ukraine a dévoilé la résurgence d’un tiers-monde qui n’est plus celui de Bandoeng porteur des mouvements de décolonisation, qui se voulait une troisième force entre l’Est et l’Ouest et revendiquant des relations économiques plus équitables, mais d’un tiers monde conscient que la mondialisation capitaliste n’a pas inversé mais modifié le rapport de force entre le Nord et le Sud. Le clivage s’avère encore plus grand entre les opinions publiques occidentales et celles d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Clivage amplifié par le « deux poids, deux mesures » qui se constate s’agissant du sort des réfugiés des guerres du Moyen-Orient ou d’Afrique, contrastant avec l’accueil réservés aux réfugiés ukrainiens. Ce n’est pas leur accueil qui est en question, qui conteste des rapports de solidarité humaine ? C’est le contraste que souligne l’article de Yousef Munayyer Regarder l’Ukraine avec des yeux palestiniens, dans lequel il cite des journalistes : « l’Ukraine est « relativement civilisée, relativement européenne ». Ce n’est pas « une quelconque nation en développement du tiers monde ». Leurs voitures « ressemblent aux nôtres ». Ce sont « des gens avec des yeux bleus et des cheveux blonds ». Ou encore, plus ouvertement
dit, « ils sont chrétiens., ils sont -blancs. » C’est là un retour, jusqu’à l’odieux, avec l’Ocean Viking, aux pires sentiments colonialistes et racistes,

D’où une nécessaire prise de conscience que la réception du discours unique distillé par les gouvernements et la logorrhée déversée par les médias occidentaux s’arrête aux frontières de l’Amérique du Nord et de l’Europe et qu’ils avivent sur les autres continents, des ressentiments anticolonialistes et anti-occidentaux. Cette fracture que révèle la guerre d’Ukraine pose une interrogation essentielle : Que signifierait pour l’Europe et le monde une guerre engageant des populations se comptant par centaines de millions, se déroulant sur des espaces continentaux, océaniques et extra-atmosphériques, avec les moyens existants - au-dessous du seuil nucléaire -, de détruire et de tuer. Les conséquences humaines sont difficilement imaginables et celles écologiques seraient irrémédiables.
La pire des réactions est celle de la forteresse nourrie de la peur de l’autre, libérant les haines. Il est impératif de faire prévaloir, entre États ayant des intérêts divergents, antagonistes mêmes, dont les peuples et les cultures diffèrent, souvent déchirés par l’Histoire, qu’il n’y a d’autre voie, résistible à la guerre, que de faire prévaloir entre les peuples l’écoute de l’autre, la concertation, l’acceptation des différences de l’hétérogénéité et, dans les relations internationales, de promouvoir l’application du multilatéralisme, dont tous se revendiquent et qu’aucun n’applique.

1) NA, Webinaire UITC, Nouvelles conflictualités - Évolution de la violence guerrière et des rapports de force dans un monde globalisé (4 juillet 2022)
2) Discours pour le lancement d’une Académie diplomatique européennes, Bruges, 13 octobre 2022
3) Décision gouvernementale, 25 États africains, 18 asiatiques et 5 d’Amérique du Sud, n’ont pas soutenu la résolution condamnant la Russie pour son intervention militaire en Ukraine. Parmi eux, citons la Chine, l’Inde, le Vietnam, l’Afrique du Sud, l’Algérie.


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