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Février 2024 : 10e anniversaire du conflit en Ukraine

samedi 24 février 2024, par Samir Saul - Michel Seymour

Dans les prochains jours, on entendra sûrement parler d’un soi-disant deuxième anniversaire de la guerre en Ukraine. Gouvernements occidentaux, « grands » médias diffusant à longueur de journée la ligne officielle pro-US et « experts »-propagandistes de cette ligne livreront des pseudo-analyses. Toutes seront basées sur la double prémisse que le conflit en Ukraine débute le 24 février 2022 et qu’il consiste en une guerre russo-ukrainienne provoquée unilatéralement par la Russie pour assouvir les ambitions expansionnistes du « dictateur » Poutine.

source pressenza.com

Selon le « récit » US/OTAN/Kiev, tout aurait été paisible et normal avant le 24 février. Ce jour-là, sans la moindre justification et sans préavis, comme un éclair dans un ciel bleu, une invasion russe s’est abattue sur l’Ukraine innocente. En bons samaritains, les USA et leur camp seraient accourus au secours de la victime en devenant sa source de dollars et d’armes, sans oublier les mercenaires et les « conseillers » de l’OTAN pour actionner ces systèmes d’armes. Un conflit de quelques semaines tout au plus devait saigner la Russie pendant que les « sanctions » économiques l’assommeraient et ouvriraient la voie à un « soulèvement populaire » sur le modèle des « révolutions colorées » (comprendre un putsch commandité par le camp occidental pour un regime change et l’accession d’une nouvelle direction qui mettrait la Russie sous la coupe de l’impérialisme étatsunien).

Tel est le « récit » officiel, ressassé ad nauseam, avec fermeture à double tour des « grands » médias à toute analyse de ce qui se passe réellement. Seule la propagande pro-US/OTAN/Kiev est permise car elle ne survivrait pas si on autorisait aussi des analyses sérieuses. La pensée unique ne peut être imposée qu’en réduisant au silence toutes les autres. Il s’avère que la censure, présentée comme le fait des seuls « régimes autoritaires » contre lesquels les « démocraties » occidentales mènent un combat mondial pour les « valeurs », est tout à fait acclimatée en Occident. Elle y est assumée, tantôt hypocritement, tantôt fièrement.

Dans la propagande et dans la culture de l’instantané, il n’y a pas d’histoire. Les événements surviennent comme des apparitions soudaines ou des faits aléatoires répondant à des impulsions spontanées. Sont connus d’avance les « bons » (les US et ceux qui sont alignés sur eux) et les « méchants » (ceux qui leur tiennent tête), rien d’autre. Avec cette grille simpliste et déformante, un conflit ne commence qu’au moment où les « méchants » ripostent, jamais avant, lorsque les « bons » ont pris l’initiative de les menacer ou de les attaquer, entraînant la riposte. Ces actions sont tout simplement effacées de la mémoire.

Choisir le 24 février 2022 comme date de début du conflit en Ukraine, c’est faire preuve de parti pris, de myopie et d’ignorance. C’est se transformer en caisse de résonance du « narratif » officiel, dont le but premier est de faire oublier le rôle central des gouvernements occidentaux comme initiateurs originels du conflit en Ukraine. Leur objectif est moins l’Ukraine que l’instrumentalisation de l’Ukraine contre l’Union soviétique, puis la Russie.

Un conflit qui remonte à 1945

La question ukrainienne connait quatre phases : de 1945 à 1956, c’est une guerre de sabotage et de terrorisme ; de 1956 à 1990, il y a accalmie ; de 1990 à 2014, un nouveau conflit se dessine ; à partir de 2014, la guerre est entamée.

Dès 1945, bien avant le 24 février 2022, l’ancêtre de la CIA recrute des nazis allemands et leurs collaborateurs ukrainiens. Se rendant aux Américains, Reinhard Gehlen met son réseau d’agents en Europe de l’Est au service des USA. Le collaborateur ultranationaliste ukrainien Stepan Bandera rejoint Gehlen en Allemagne et, avec son organisation, mène une guerre sanglante contre l’URSS en Ukraine, territoire soviétique. L’URSS l’emporte et le KGB assassine Bandera en 1959. C’est en 1954 que Khrouchtchev transfère la péninsule de la Crimée à la République d’Ukraine, partie de l’URSS.

Déséquilibre et tension latente depuis 1991

La situation est stable jusqu’en 1991. Le démembrement de l’URSS donne naissance à une Ukraine indépendante que la Russie reconnaît et avec laquelle elle entretient de bonnes relations économiques. Elle lui vend du gaz et lui paie des droits pour le gaz russe qui transite par l’Ukraine vers d’autres pays. Si la Crimée reste aux mains de l’Ukraine, et ce malgré le référendum de janvier 1991 favorable au maintien dans l’URSS, la Russie conserve par voie de traité la base navale de Sébastopol, critique pour sa défense en mer Noire.

Mais le processus enclenché en 1991 a pour suite une politique étatsunienne de mainmise sur les pays de l’Est, ex-membres du bloc soviétique. Cela s’effectue par le biais de l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN. L’OTAN est une alliance militaire dirigée par les États-Unis, fondée en 1949 contre l’URSS mais maintenue après la disparition de l’URSS pour servir de cadre de contrôle de l’Europe et d’intervention militaire en Europe (Serbie) et hors d’Europe (Afghanistan, Libye). L’OTAN est présentée comme le bras armé de la « communauté internationale », nouveau masque des États-Unis.

Après le démantèlement de l’URSS, l’OTAN demeure une alliance militaire antirusse sous l’égide des États-Unis, de loin le principal membre. En 2000, lorsque la Russie envisage de demander d’être admise à l’OTAN, cela lui est refusé. L’expansion de cette alliance militaire vers la frontière de la Russie par l’intégration des ex-pays du Pacte de Varsovie limitrophe de la Russie prend un caractère menaçant pour la Russie. En 1999, la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie y font leur entrée. En 2004, c’est le tour des trois pays baltes, de la Slovaquie, de la Slovénie, de la Roumanie et de la Bulgarie. Ajouter l’Ukraine serait accéder à toute la frontière sud de la Russie, lui arracher Sébastopol, mettre en péril ses voies maritimes de sortie par la mer Noire et neutraliser ses capacités balistiques de riposte par l’installation de missiles étasuniens à quelques minutes de Moscou.

Cette même année, une « révolution orange » est déclenchée pour effectuer un regime change et faire basculer l’Ukraine dans le camp occidental. L’entreprise fait long feu mais l’OTAN formule quand même des projets d’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie, située dans la zone sensible au sud de la Russie. Le pouvoir installé à Tbilissi par la « révolution des roses » de 2003 la réclame. Et l’expansion se poursuit dans les Balkans en 2009, 2017 et 2020. L’OTAN passe de 12 membres fondateurs en 1949, à 16 membres en 1990, à 31 en 2020. Avec la disparition de l’URSS, l’OTAN double donc le nombre de ses membres. En 1990 on célébrait avec candeur la fin des blocs ; on assiste plutôt à l’absorption d’un bloc par l’autre. Aussitôt admis, les membres voient s’ouvrir sur leur sol des bases militaires otaniennes, mais de facto étatsuniennes.

La désillusion en Russie

La Russie est en voie d’abandonner ses illusions de la fin de la guerre froide. Naïvement, elle croyait que la conversion au capitalisme la ferait accepter comme partenaire de l’Occident. Elle apprend amèrement qu’elle n’est considérée que comme une vassale destinée à obéir, tandis que le capitalisme sauvage des années 1990 réduit les Russes au paupérisme et à une misère telle qu’ils sont contraints de vendre leurs chaussures sur les trottoirs pour espérer se nourrir. L’État « libéral » n’est qu’une façade pour l’absence d’État, lequel est remplacé par la jungle des oligarques, du grand banditisme et du capital étranger. Le mimétisme de l’Occident et l’intégration dans la mondialisation américanocentrée perdent de leur attrait.

Ce sont ces désastres stratégiques, politiques et socio-économiques qu’il faut surmonter, et c’est son aptitude à le faire qui explique l’émergence de Poutine. Il est, à l’origine, un occidentalisant comme les autres dirigeants postsoviétiques mais, comme des millions de Russes, il doit se rendre à l’évidence du drame de la déchéance de son pays. Toute sa politique consiste à restaurer l’État et à remettre la Russie sur pied. Son succès sur tous ces plans lui vaut la popularité qu’on connaît en Russie et la détestation profonde, viscérale, pavlovienne, de l’impérialisme étatsunien qui ne supporte pas les pays capables de défendre leur souveraineté et leurs intérêts, encore moins quand ce sont de grands pays contre lesquels l’usage de moyens militaires est hasardeux. La Russie faible et facile à exploiter de l’ivrogne Eltsine était préférable.

Alarmée par l’avancée de l’OTAN, la Russie multiplie les appels à l’Occident de l’écouter, de tenir compte de ses besoins de sécurité, de ne pas poursuivre cette dangereuse expansion, de penser en termes de sécurité globalement et pour tous, etc. En février 2007, Poutine fait un célèbre discours à Munich critiquant l’unilatéralisme étatsunien et rappelant la souveraineté des États et le droit international bafoué par l’« unique superpuissance ». Rien n’y fait. Les États-Unis sont en plein hubris de puissance, de pays « exceptionnel » et « indispensable », de « fin de l’histoire », de mondialisation-rouleau compresseur, de la disparition des États (sauf les États-Unis), etc. Ils tiennent la Russie pour quantité négligeable à acculer dans ses derniers retranchements. Avançant inexorablement, intervenant partout, les États-Unis comprennent le monde entier dans leur impérialisme planétaire. La Russie n’est qu’un morceau parmi d’autres. Ailleurs se déroulent sans interruption de multiples opérations à caractère expansionniste sous divers prétextes (« guerre au terrorisme », « défense des droits humains et de la démocratie », lutte contre un dirigeant diabolisé, etc.)

Début de réaction russe

Le vent commence à tourner en 2008 sur deux terrains. Une crise économique de la première importance enlève tout lustre au mythe de la mondialisation heureuse et des bienfaits de l’hégémonie étatsunienne. C’est des États-Unis que la crise arrive et touche l’ensemble du monde. Au même moment, les économies partiellement ou entièrement dirigées de la Chine et de plusieurs pays du Sud montrent leur dynamisme. Le modèle néolibéral est discrédité. Sur le second plan, stratégique celui-là, la Russie réagit pour la première fois militairement lorsque ses troupes sont attaquées par le pouvoir géorgien issu de la « révolution » de 2003. De fait, cette intervention représente la première véritable réaction de la Russie après des années de paralysie face aux brimades internationales qu’elle subit. La déroute des forces géorgiennes signale la détermination de la Russie à protéger ses frontières et donne un coup d’arrêt aux projets d’expansion otaniens.

Toujours est-il que la Russie n’est pas hostile à l’Occident. Elle continue de plaider, de faire appel à la raison, au sens de l’intérêt collectif, si bien que l’on peut se demander si elle a conscience de l’intensité de l’hostilité occidentale à son égard. Elle pratique une diplomatie classique, d’un autre âge, de diplomates à diplomates, loin de la « communication » démagogique, du sensationnalisme de caniveau et du tapage médiatique à l’occidentale, alors qu’elle est vitupérée et traînée dans la boue sur la place publique par ses interlocuteurs à toutes les occasions possibles et sur tous les sujets. Le ministre des Affaires étrangères Lavrov parle de « nos partenaires occidentaux », alors que ceux-ci vouent son pays aux gémonies. Il y a sans doute un résidu des espoirs de 1990 de rejoindre l’Occident en se montrant conciliant.

Au contact avec la réalité de l’attitude et des politiques occidentales, la Russie s’émancipe de ses rêveries occidentalistes. Elle ne sera jamais acceptée parce que sa taille la rend difficile à subordonner, et son refus de renoncer à sa souveraineté fait d’elle un sérieux défi pour l’unipolarité et un exemple pour d’autres qui pensent comme elle. L’inimitié à l’égard de la Russie est évidente depuis 1990 mais c’est au début de la décennie 2010 et par une voie détournée que s’ouvre la phase actuelle qui aboutit à l’affrontement militaire en Ukraine.

Ouverture du front sud

La Russie est toujours sur la défensive. Pressurée par l’OTAN à l’Ouest, elle est humiliée par l’attaque de l’OTAN contre la Serbie en 1999 sans même le paravent d’un mandat de l’ONU (un veto russe est redouté car la Serbie est une protégée russe depuis le 19e siècle et, du reste, la toute-puissance ne s’encombre pas d’autorisations dans le monde unipolaire). Témoin de l’installation des États-Unis en Afghanistan en 2001, elle voit apparaître un autre danger sur son pourtour. Là le modèle des « révolutions colorées » prend des formes militarisées. Profitant des révoltes arabes de 2011, les États-Unis et l’OTAN passent aux changements de régimes dans les pays arabes qui échappaient à leur emprise. Contre la Libye, c’est une attaque militaire directe suite au détournement du mandat accordé par le Conseil de sécurité. La Russie qui, comme les autres membres soumis à la campagne médiatique, a voté pour un mandat de protéger les populations le voit transformé par l’OTAN en un renversement de régime par la force et l’assassinat du chef de l’État. C’est un moment de prise de conscience et de résolution à refuser d’être instrumentalisée afin d’offrir une couverture juridique aux interventions occidentales.

2014 : de la Syrie à l’Ukraine

La guerre déclenchée en 2011 par une coalition occidentale (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Turquie, Arabie saoudite, Qatar, Israël) pour un regime change en Syrie mène au conflit en Ukraine. La Russie est directement concernée. D’abord c’est son allié syrien que la coalition entend attaquer, comme elle l’a fait en Serbie en 1999 et comme elle vient de le faire en Libye. Cette fois, la Russie et la Chine usent de leurs vetos pour empêcher le Conseil de sécurité d’avaliser une attaque aérienne occidentale. La guerre procède quand même. Suite à leur échec à contrôler l’Irak qu’ils occupent depuis 2003 et aux pertes qu’ils subissent, les États-Unis choisissent de mener des guerres par procuration, envoyant se battre pour eux n’importe quel supplétif disponible pour la tâche. En Syrie, ce sont les djihadistes à qui la mission est confiée.

Le modèle est celui employé contre la Russie en Tchétchénie durant les années 1990. L’installation de djihadistes à Damas est une politique du pire qui mettrait le feu à toute la région, c’est-à-dire la lisière sud de la Russie. Le chaos s’étendrait à la Russie elle-même par le biais de la manipulation de ses populations musulmanes, rééditant la guerre de Tchétchénie. Incapables de vaincre, les djihadistes appellent des bombardements aériens de la part de leurs parrains étatsuniens, britanniques et français.

En 2013, ils montent de toute pièce une attaque chimique sous faux drapeau pour la provoquer. Les néoconservateurs partout sont les plus enthousiastes partisans des regime change et des invasions-occupations, dont celle de la Syrie. Mais le public étatsunien ayant été échaudé par le coûteux fiasco en Irak, Obama tergiverse et finit par s’abstenir en août-septembre 2013. Poutine l’aide en lui offrant une porte de sortie. Furieux que ce dernier les ait privés d’une si bonne occasion, les néocons jurent de se venger. Le 21 novembre 2013 débutent les manifestations de Maïdan à Kiev. Le chaos antirusse n’ayant pu être répandu depuis la Syrie, ils le rapprochent en allumant la mèche à la porte même de la Russie. Du péril périphérique et lointain, ils passent à la menace directe. La politique d’encerclement de la Russie à l’ouest et dans les Balkans se complèterait par un volet sud. Le lien entre la Syrie et l’Ukraine est net, comme l’est la cible : la Russie.

Le coup d’État de 2014 et la phase de l’affrontement

Suivant la recette bien rodée des « révolutions de couleur », des agitateurs du groupe Secteur droit font dévier les manifestations vers la violence. Il faut que le sang coule pour lancer l’appel à renverser un pouvoir qui « tue son propre peuple ». Des francs-tireurs embusqués (snipers), notamment à l’Hôtel Ukraina, et non identifiés abattent autant des manifestants que des forces de l’ordre pour les inciter à s’entretuer. L’accord franco-germano-polonais du 21 février 2014 avec le président ukrainien Viktor Ianoukovytch pour une transition pacifique du pouvoir est saboté quelques heures plus tard par les États-Unis usant des néonazis bandéristes, l’équivalent en Ukraine des djihadistes de Syrie.

Le 22 février, un gouvernement élu est renversé par un coup d’État mettant au pouvoir des ultranationalistes russophobes soutenus par les bandéristes. Représentant sur place à Kiev le gouvernement étatsunien, Victoria Nuland sélectionne elle-même les membres du nouveau gouvernement putschiste. Elle révélera plus tard que l’organisation du coup d’État de Maïdan a coûté 5 milliards de $ aux États-Unis. Le projet d’entrée de l’Ukraine à l’OTAN devient d’actualité et un danger imminent pour la Russie. Les otaniens répètent qu’elle sera actée. Le tournant vers le conflit armé est pris en 2014. Le reste n’est que préparatifs et mobilisation des moyens.

Les milices d’extrême-droite, au centre desquelles se trouve le groupe Azov, ont les mains libres et seront ultérieurement intégrées à l’armée ukrainienne. Débute immédiatement la guerre interne contre les russophones ukrainiens, marquée par un massacre à Odessa le 2 mai 2014, l’interdiction de la langue russe et un conflit armé contre les oblasts du Donbass qui résistent à la dérussification et se battent pour la sécession. Les civils sont les premiers à en faire les frais. Plus de 14 000 perdront la vie entre 2014 et 2022 dans les bombardements quotidiens.

Les russophones réclament l’unification à la Russie, laquelle priorise plutôt sa sécurité en annexant la Crimée, largement russophone et pro-réunification, pour conserver la base navale de Sébastopol. L’anarchie en Ukraine n’est pas dans son intérêt et l’administration de ce vaste pays souffrant de maux graves serait une boîte de Pandore, un cauchemar dont elle voudrait être épargnée. Elle préfère le maintien de l’État ukrainien et ne reconnaît pas les républiques sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk. Elle s’efforce de trouver une solution qui protège les droits des russophones (langue, autonomie administrative) sans les retirer de l’Ukraine. Les accords de Minsk I (septembre 2014) et Minsk II (février 2015), jamais respectés, sont neutralisés par la partie occidentale qui reconnaît plus tard ne les avoir signés que pour se donner le temps d’armer et d’entraîner les forces ukrainiennes.

2021-2022 : l’éclatement du conflit armé

En 2021, avec l’élection de Biden et le retour en force des néocons, les manœuvres militaires occidentales autour de la Russie, les survols de bombardiers à sa frontière et les heurts navals près des côtes russes en mer Noire signalent l’activation du front ukrainien et le passage à l’offensive. L’armée ukrainienne est maintenant prête à lancer l’assaut contre le Donbass et à affronter militairement la Russie. Zelensky affirme en 2021 son souhait d’acquérir l’arme nucléaire.

Fin 2021, la Russie change de ton par rapport à la réserve des années 1990-2021. Affirmative, elle oppose un refus catégorique à l’adjonction de l’Ukraine à l’OTAN, laquelle serait évidemment suivie de l’installation de missiles étatsuniens sur son flanc sud. Elle soumet pour signature des textes de traités de sécurité pour l’ensemble de l’Europe. Le rejet de la proposition par les Occidentaux signifie que la Russie n’a pas droit à la sécurité, une confirmation de toute la politique suivie depuis 1990. Un accord multilatéral basé sur le droit international est rejeté. Dans un rapport de 2019, la Rand Corporation recommande une escalade des pressions contre la Russie afin de l’obliger à réagir pour son autodéfense par une opération militaire en Ukraine, ce qui permettrait aux États-Unis de détruire la Russie économiquement par des « sanctions », l’exclusion du système Swift et la rupture des exportations de gaz vers l’Europe. Le scénario est suivi à la lettre par les États-Unis.

Début 2022, tous les préalables sont en place pour que la Russie assure sa sécurité par elle-même en obligeant l’Ukraine à renoncer à une adhésion à l’OTAN et en arrêtant le massacre des civils du Donbass. C’est le 24 février 2022, début, non de la guerre en Ukraine, mais de la dernière étape de la guerre engagée en 2014. Elle n’est pas le fait du hasard ou de l’esprit maléfique de Poutine. Elle est inscrite dans toute la politique occidentale vis-à-vis de la Russie depuis 1990, et surtout depuis 2014. Les États-Unis combattent la Russie par Ukrainiens interposés, exemple caricatural de la guerre par procuration.

La phase 2022-2024 est la mieux connue. Les guerres se déroulent rarement comme prévu. La Russie envisage une intervention légère (« opération militaire spéciale »), pas une guerre et pas la conquête de l’Ukraine, à seule fin d’appuyer sa demande de signature d’un traité de neutralisation de l’Ukraine. Il lui suffit que son voisin ne soit pas hostile et qu’il ne mette pas son territoire à la disposition des ennemis occidentaux de la Russie. Or, elle fait face à un Occident décidé à lancer les Ukrainiens au combat. L’Occident, prenant ses désirs pour des réalités, calcule que la Russie s’écroulera économiquement et se convainc qu’elle est faible militairement. Or, il la voit se porter mieux qu’avant les « sanctions » et posséder un armement d’une quantité et d’une qualité insoupçonnées. Si le plan russe est optimiste, l’occidental est fantaisiste.

Il y aura donc une guerre « de haute intensité », non pas dans l’espoir que l’Ukraine puisse l’emporter militairement contre la Russie mais dans l’espoir de provoquer une « révolution de couleur » à Moscou, quoi qu’il en coûte en sang ukrainien. Malgré la série ininterrompue de défaites des forces de Kiev depuis 2022, la destruction des armes occidentales sur le champ de bataille et l’état exsangue de l’Ukraine, donc l’échec manifeste de toute cette stratégie, la guerre chaude demeure en vigueur en Occident en ce 10e anniversaire de guerre. Utilisée comme outil jetable par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie, l’Ukraine est en ruines et son avenir est compromis. La voie rationnelle d’une résolution diplomatique n’est pas envisagée car les enjeux véritables sont d’ordre mondial et ont toujours dépassé l’Ukraine.

Samir Saul - Michel Seymour
Samir Saul est docteur d’État en histoire (Paris) et professeur d’histoire à l’Université de Montréal. Son dernier livre est intitulé L’Impérialisme, passé et présent. Un essai (2023). Il est aussi l’auteur de Intérêts économiques français et décolonisation de l’Afrique du Nord (1945-1962) (2016), et de La France et l’Égypte de 1882 à 1914. Intérêts économiques et implications politiques (1997). Il est enfin le codirecteur de Méditerranée, Moyen-Orient : deux siècles de relations internationales (2003). Courriel : samir.saul@umontreal.ca ____________________________________________________________________________________________________ Michel Seymour est professeur retraité du département de philosophie à l’Université de Montréal, où il a enseigné de 1990 à 2019. Il est l’auteur d’une dizaine de monographies incluant A Liberal Theory of Collective Rights, 2017 ; La nation pluraliste, ouvrage co-écrit avec Jérôme Gosselin-Tapp et pour lequel les auteurs ont remporté le prix de l’Association canadienne de philosophie ; De la tolérance à la reconnaissance, 2008, ouvrage pour lequel il a obtenu le prix Jean-Charles Falardeau de la Fédération canadienne des sciences humaines. Il a également remporté le prix Richard Arès de la revue l’Action nationale pour l’ouvrage intitulé Le pari de la démesure, paru en 2001. Courriel : seymour@videotron.ca site web : michelseymour.org

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