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LA QUESTION au théâtre de la Concorde

La Question, avec Stanislas Nordey du 24 janvier au 1 fév.

mardi 21 janvier 2025, par Secrétaire

« On porte au théâtre un texte que l’auteur n’a pas eu la possibilité de relire intégralement ni d’oraliser dans sa cellule au moment de l’écriture, un texte sorti illégalement par son avocat. Ce texte est essentiel à nos mémoires, il compte dans notre histoire, et d’une certaine manière nous mène à la réconciliation avec le peuple algérien. » Sceneweb.fr, 23 juillet 2023
« La mise en scène de Laurent Meininger n’autorise aucune échappatoire au texte. Le rideau mobile en fond de scène, la lumière quasi inexistante pendant une grande partie de la pièce, nous enferment dans la prison où chaque bruit recèle un danger potentiel, où la musique devient le moyen de rappeler les cris des torturés que l’on cache. » La SouriScène, décembre 2021

sur le site du théâtre de la CONCORDE

Sur le plateau, bien sûr, c’est du théâtre… mais l’histoire est vraie : la reconstitution mentale, la convocation du souvenir, le partage de l’abomination, l’écrit de combat.

Tout part de la cellule, de cette écriture clandestine dans une cellule de la prison de Barberousse. La mise en scène cherche un axe de la parole qui produise une théâtralité forte, au plus près de la tension extrême dans laquelle le texte a été écrit, au plus près de ce qu’aurait pu être l’énoncé de l’auteur s’il avait pu lire La Question d’un seul tenant à voix haute dans sa cellule.

Dans un procès d’Assises, lorsqu’une victime raconte ce qu’elle a subi, ou répond à la question d’un magistrat, ou lorsque le président du tribunal énumère les éléments à charge, la narration des faits est souvent effroyablement précise et glaçante.

De la même façon, l’auteur (l’acteur) de La Question emmène le public au point culminant de l’inaudible, de l’insupportable, de l’inacceptable ; et il le fait au fil d’une narration clinique, concise, peu encline à céder au commentaire, qui refuse l’émotion, la complicité avec le public.
Ne pas déroger à cette « sécheresse de procès-verbal » et retrouver ce minimalisme dans la représentation sont des intentions prioritaires de la mise en scène.
Quelle adresse ?

Comment assume-t-on de dire l’insoutenable ? À qui le dit-on ? Et ou cela mène-t-il ? Qu’est-ce que cela crée chez la spectatrice ou le spectateur ? Est-ce que cela permet de regarder en face notre peur ?
« Je vous attends : je n’ai pas peur de vous » dit Henri Alleg à ses tortionnaires. Mais l’adresse ne s’arrête pas au camp d’en face (les parachutistes tortionnaires, la hiérarchie civile et militaire française). Henri Alleg adresse d’abord La Question à la justice française et au gouvernement français.

On peut aujourd’hui s’accorder ici la plus grande liberté. Faire, par exemple, l’hypothèse que le spectacle La Question s’adresse à Henri Alleg lui-même, en hommage à son courage et à sa modestie ; ou à son épouse Gilberte dont les interventions à Alger et Paris ont sauvé son mari ; ou à ses fils André et Jean Salem ; ou à l’épouse de Maurice Audin (dont le mari a été assassiné par ceux-là mêmes qui ont torturé Henri Alleg) ; ou à André Moine, dirigeant clandestin du Parti communiste algérien (dont le nom et la planque étaient la réponse à la question que les parachutistes posaient à Henri Alleg à chaque nouvelle séance de torture, réponse qu’ils n’ont pas pu obtenir de lui) ; ou à Massu qui n’a jamais mis les pieds dans la cellule où était détenu Henri Alleg (envoyant des subalternes faire le « sale boulot ») ; ou aux milliers d’Algériens et Algériennes torturé·es comme l’a été Henri Alleg, et pour beaucoup exécuté·es de manière « extra-judiciaires », c’est-à-dire assassiné·es comme l’a été Maurice Audin ; ou aux responsables politiques et militaires d’aujourd’hui (pour leur rappeler que la torture et les « exécutions extra-judiciaires » existent encore au XXIème siècle et que les principaux assassins demeurent toujours les États) ; ou au public dans la salle, c’est-à-dire à nous-mêmes, le peuple français : en Algérie, l’armée française a torturé en notre nom…
Que signifie « incarner » dans ce spectacle ?

Dans sa cellule de la prison de Barberousse, Henri Alleg n’a pas eu la possibilité de relire les feuilles déjà écrites, et transmises en secret aux avocats, avant de poursuivre l’écriture de son récit. Sa mémoire était son unique repère, pour la torture qu’il a subie comme pour le récit qu’il en faisait.
« Les textes devraient obligatoirement ne pas excéder quatre pages de cahier d’écolier, pliées et repliées afin qu’elles puissent tenir dans le bout d’une pantoufle ou le creux d’un vêtement pour être évacuées à l’occasion d’une visite d’avocat. »
« J’attendais d’avoir transmis [les pages] déjà écrites pour rédiger la suite. »
Dans le spectacle, l’acteur se situe justement dans cette cellule de la prison de Barberousse. Il incarne le narrateur, Henri Alleg, comme s’il avait pu lui-même lire à haute voix l’intégralité de son texte. Mais il le fait avec cette même « tension faite de pudeur et de pleine clarté »1 et cette même « tension interne de cri maîtrisé »2, qui dominent l’écriture de Henri Alleg. Il n’incarne pas les personnages que met en scène Henri Alleg dans son récit. Les voix des tortionnaires ne sont pas « jouées », elles apparaissent dans la continuité et la froideur clinique de la narration.
Et durant tout le spectacle l’acteur ne perd jamais de vue l’intention initiale de l’auteur : témoigner devant un tribunal, produire un récit incontestable, relater les faits avec la plus grande précision (qui a fait quoi ? quand ? où ?) en évitant de se mettre soi-même en avant (Henri Alleg l’exprime dès la première phrase de La Question : « Dans cette immense prison surpeuplée, dont chaque cellule abrite une souffrance, parler de soi est comme une indécence »).

1Notice ALLEG Henri, par René Gallissot, in Le Maitron, Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social, https://maitron.fr/spip.php?article9895.

2La torture au coeur de la République, par Jean-Pierre Rioux, Le Monde, 1998.
Gérer la tension et l’effet miroir

À l’origine, La Question n’est pas un texte destiné au théâtre. Il est par conséquent naturel que des passages résistent à l’oralité ; ou qu’ils soient difficiles à transposer sur un plateau de théâtre sans déroger aux intentions de la mise en scène ; ou qu’ils supportent mal la confrontation avec la période contemporaine (par exemple, l’épisode du Pentothal n’a pas été conservé parce que les productions audiovisuelles d’aujourd’hui ont sitcomisé l’utilisation du « sérum de vérité »).
Les exactions révélées par La Question ont été commises au nom du peuple français, c’est-à-dire en notre nom. Pour la spectatrice et le spectateur, il existe par conséquent un effet miroir du texte. Cet effet miroir, sa force, sa densité, sa violence imposent que l’on porte une attention particulière à la manière dont le texte sera reçu à chaque minute. Dans sa version livresque intégrale le texte offre peu de répit à la lectrice ou au lecteur. Dans sa version théâtrale, plus courte, il n’en offre guère plus. Cependant l’adaptation réalisée permet au spectacle une gestion fine dans la durée des tensions dramatique et narrative.
Une scénographie mentale

La cellule, le cauchemar, les ombres ont constitué des pistes pour la scénographie, pour l’ambiance sonore et visuelle. Dans le spectacle, rien de ce que décrit le texte n’est montré. La lumière et le son prennent en charge la temporalité du récit. Une scénographie épurée accompagne la matérialité des mots, suggère un espace autour de la cellule, un espace mental émaillé de rares contrepoints introspectifs : brèves nappes sonores, courts instants où la voix de l’acteur est soutenue par la sonorisation, court instant de chevauchement entre la voix de l’acteur et sa voix enregistrée, mouvements hypnotiques d’un rideau de fils en fond de scène…

Les 24 et 25 janvier puis du 28 janvier au 1er février à 20h30.

Le 31 janvier, Patrick Boucheron, président du Conseil d’orientation, historien, professeur au Collège de France, animera un échange à l’issue de la représentation.

RESERVATIONS : sur le site du théâtre de la CONCORDE