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Décolonisations

lundi 12 octobre 2020, par Bernard Deschamps

Appréciant les travaux de Pascal Blanchard, j’abordai la projection de « DECOLONISATIONS » sur France 2 avec un a priori favorable, me demandant toutefois si les auteurs éviteraient le piège du renvoi dos à dos du colonisé et du colonisateur, sous prétexte de « réconciliation des mémoires ».

L’écueil a été évité. Certes la parole est donnée à des militaires qui tentent de justifier la torture et à des Pieds-noirs attachés à "l’Algérie française", mais le commentaire rédigé par Pascal Blanchard et dit par l’acteur Lucien Jean-Baptiste dénonce sans ambiguïté le colonialisme et prend résolument le parti des indépendantistes et de leur juste combat.

Les auteurs du documentaire, nous dit Pascal Blanchard dans Télérama du 3 octobre, avaient pour objectif de « saisir ce mouvement historique d’émancipation dans sa globalité. Les décolonisations ne sont pas les mêmes selon les pays, mais tout cela forme une guerre de vingt-cinq ans. »

Louable objectif qui permit, avec des images d’archives souvent inédites, de rappeler des faits mal connus ou oubliés en les situant dans leur contexte historique global. Images terribles d’hommes et de femmes contraints aux travaux forcés ; d’enfants abattus à l’entrée de leur gourbi ; de femmes violentées et parfois violées ; de camps d’internement ravagés par la faim, les mauvais traitements, la maladie ; de combattants torturés par l’armée française…

« Le temps des colonisations était périmé, mais la France s’acharne à garder ses colonies ». En 1931, elle organise l’Exposition coloniale Internationale à Paris : la colonisation triomphante, la prétendue « mission civilisatrice de la France ». (1) De l’indépendance du Liban en 1943 et celle de la Syrie en 1946, le documentaire nous entraîne en Afrique, aux Antilles, en Asie où « la soif de dignité » connait un nouvel élan après la Seconde guerre mondiale au cours de laquelle les peuples des « colonies » ont payé un lourd tribut et espèrent en retour obtenir leur émancipation (2). Ni les promesses de De Gaulle à Brazzaville en 1944 ni l’Union française promue par la 4e République ne répondront à cette attente légitime. La désillusion est profonde. La colère gronde. La répression est terrible. Des soldats Sénégalais démobilisés et parqués dans un camp militaire à Thiaroye près de Dakar sont abattus à la mitrailleuse le 1er décembre 1944. Damas est bombardée par l’aviation française en 1945. La répression fait de 7 à 15 000 morts à Sétif en 1945 (40 000 écrit l’Ambassade des USA). Des dizaines de milliers à Madagascar en 1947. Le 2 mars 1960, sous la direction de l’armée française, les troupes camerounaises rasent le bourg de Yogandima, massacrant près de 8.000 civils sans armes… Le napalm sera utilisé contre la population au Vietnam et en Algérie.

Mais ce sont les peuples qui gagneront. Le Laos et le Cambodge obtiendront leur indépendance en 1953. La France sera battue à Diên Bien Phû et le Vietnam deviendra indépendant en 1954. La France aura perdu 60 000 hommes dans cette guerre injuste (3). Le Maroc, la Tunisie, seront indépendants en 1956. La Guinée en 1958. Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Sénégal, le Gabon, le Cameroun, Madagascar, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, la Mauritanie, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, le Tchad, le Togo en 1960. Les Comores en 1975 et Djibouti en 1977. L’Algérie arrachera son indépendance en 1962 à l’issue de presque huit années d’une guerre cruelle imposée par l’Etat français (4). Une guerre qui sonna le glas de la 4e République, ternit gravement l’honneur de notre armée et se termina dans le chaos sanglant provoqué par les tueurs de l’OAS au nom de « l’Algérie française ».

De Gaulle et les gouvernements qui lui succèderont s’efforceront de poursuivre par d’autres moyens la domination française. Eliminant les dirigeants indépendantistes intègres et s’efforçant de placer des hommes de confiance à la tête des nouveaux Etats indépendants. Ce sera la Françafrique pilotée par Jacques Foccart depuis l’Elysée.

De multiples témoignages jalonnent ce survol des vingt-cinq années de guerres coloniales de la France, parmi lesquels ceux de Zohra Drif-Bitat, une des « jeunes filles de la casbah d’Alger » et notre ami Djoudi Attoumi qui fut un proche collaborateur du Colonel Amirouche, le célèbre commandant de la Wilaya III historique de Kabylie.

Le documentaire évoque le rôle éminent joué par certains dirigeants des mouvements indépendantistes : Ho Chi Minh, le Sultan Mohamed V, Habib Bourguiba, Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Ruben Um Nyobé, Paul Vergès…Curieusement – mis à part Messali Hadj qui combattit le FLN - aucun nom de dirigeants algériens n’est cité, ni Ahmed Ben Bella ni Houari Boumediene ni Abane Ramdane ni Ben M’hidi ni Maurice Audin enlevé et assassiné par les paras de Massu ni Henri Alleg, l’auteur de La question…Il est vrai que ces deux derniers étaient des communistes et, à part quelques brèves allusions pour accuser le parti communiste français d’être aux ordres de Moscou, les communistes algériens et français sont singulièrement absents de ce long documentaire. Le PCA a pourtant été très actif au sein du FLN. C’est un communiste algérien Henri Maillot qui détourna un camion d’armes le 4 avril 1956 pour le remettre au FLN. En France, les communistes ont longtemps été seuls à supporter la charge de l’action contre ces « sales guerres » dont Henri Martin et Alban Liechti furent les symboles (ainsi qu’Yvan Sagnier dans le Gard)(5) pendant les guerres en Indochine et en Algérie. Le documentaire ne les cite pas. Rappelons également que de 1954 à 1962, pendant la guerre d’Algérie, l’organe central du PCF, le quotidien l’Humanité fut saisi par la police à 27 reprises. Il a été l’objet de 150 poursuites, dont 49 pour «  provocation de militaires à la désobéissance  », 24 pour «  diffamation envers l’armée  », 14 pour «  atteinte à la sécurité de l’État  »…

On ne peut plus cacher aujourd’hui, le crime que fut la colonisation. D’autant que ses contemporains nostalgiques de la domination coloniale sont, avec le temps qui passe, de moins en moins nombreux. De grands médias désormais rompent le silence. Mais à une condition : soigneusement cacher le rôle des Communistes qui, avec leur parti, malgré quelques erreurs, furent durant ces années, à l’avant-garde des luttes anticoloniales.

La même observation s’applique également à la CGT et à l’UNEF. Aux réseaux Jeanson, au PSU (à partir de 1958) et à quelques autres mouvements. D’une façon plus générale c’est la prise de conscience lente et progressive du peuple de France qui est absente de ce documentaire par ailleurs riche et passionnant. C’est dommage.

Bernard DESCHAMPS

7 octobre 2020

1 – L’Exposition coloniale internationale de 1931 fut inaugurée par le Président de la République Gaston Doumergue, un Gardois né à Aigues-Vives.

2 - 59 745 soldats français tués ou disparus (et non 80 000 comme indiqué dans le documentaire « Décolonisations ») selon le Ministère des Armées. Réf/ etudescoloniales.canalblog.com

3 – La bataille de Monte Cassino par exemple à laquelle participa Ahmed Ben Bella qui deviendra le premier Président de la République algérienne Démocratique et Populaire en 1962.

4 –Un des épisodes les plus tragiques fut le pogrom du 17 octobre 1961 à Paris dont le Préfet de police Maurice Papon fut le bras armé, mais qui avait été monté par le Premier ministre Michel Debré pour tenter d’enrayer le processus de négociation avec le FLN engagé par De Gaulle et qui aboutira quelques mois plus tard le 18 mars 1962 à la reconnaissance du droit à l’indépendance du peuple algérien et au cessez le feu du 19 mars.

5 - A lire dans Les Gardois contre la guerre d’Algérie et Le Fichier Z (les mineurs algériens des Cévennes)

bernarddeschamps30@gmail.com